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Cernunnos, dieu cornu des Gaulois



Il fait encore fantasmer l'imaginaire, sa complexité intrigue encore les chercheurs à tel point qu'il y a encore plusieurs hypothèses sur ce qu'il incarne, sur le domaine de ses pouvoirs, Cernunnos, le dieu cornu des Gaulois demeure encore un mystère. Mais un mystère qu'on commence à mieux cerner avec les découvertes de ses dernières décennies.


Le gros problème avec la mythologie gauloise, c'est les sources. Les sources écrites gauloises sont très peu nombreuses (voir l'article sur les druides) et les écrits gréco-romains ne sont pas forcément un témoignage des plus fiables. Il faut donc se fier aux monuments et les recouper avec plusieurs écrits à notre disposition pour espérer s'approcher de la vérité.

Pilier des Nautes

Tout d'abord son nom : « Cernunnos ». La seule trace de son nom nous est parvenue grâce au pilier des Nautes (réalisé sous le règne de Tibère au début du Ier siècle et retrouvé en 1711 sous Notre-Dame de Paris ), malheureusement, pas en entier. Il ne reste que « .ernunnos ». Plusieurs hypothèses annoncent qu'il pourrait y avoir deux lettres devant le nom ou une seul (1). La solution d'un simple « C » fut choisi, formant ainsi le nom d'une somme de deux mots : cern signifiant cornu et nunnos, nourricier. Personnellement, je proposerais Caernunnos. Rappelant ainsi le bruit du carnyx (la trompette gauloise) et le brame du cerf.


"Cernunnos hérite de symboles animaliers"

Oui, le cerf. Cernunnos est en lien étroit avec celui-ci puisqu'il en porte les cornes. C'est pourquoi on le surnomme le dieu cornu des gaulois. C'est l'une de ses caractéristiques physiques qui ne change jamais dans ses représentations. Ça et le fait qu'il est quasiment toujours assis en station bouddhique.

Dans sa main droite il tient un torc (collier gaulois), qui se mute souvent en corne d'abondance sous la période de l'Empire romain. De la main gauche il tient un serpent à tête de bélier. Plusieurs hypothèses sont retenues, le serpent ayant plusieurs significations, libre à chacun de choisir. Mais une option intéressante est celle qui lie le serpent à la renaissance (en rapport avec l’œuf, le renouvellement de sa peau...). Dans l’œuvre d'Elien, la personnalité des animaux, le cerf combat le serpent, nous donnant ici l'idée d'un combat du bien contre le mal. Le serpent à tête de bélier existe bel et bien, mais il vit, actuellement, dans les régions d'Afrique. Cela peut paraitre étonnant d'en retrouver une trace chez un dieu Gaulois, mais sur le chaudron de Gundestrup on retrouve également des éléphants ou encore des griffons. On peut aussi prendre en compte la signification des mains, dextre ou senestre.

Le cerf aussi est un symbole. Il brame lors de l'équinoxe d'automne et perd ses bois l'hiver pour les retrouver à l'approche de la saison lumineuse. Le cerf est aussi un animal qualifié de viril, il se bat pour être celui qui fécondera les femelles. D'ailleurs les bois, la peau et l'os cardiaque du cerf étaient utilisés pour réaliser des amulettes ou des remèdes contre les fausses couches ou favoriser la fertilité par exemple (2). Tout ceci participe à la symbolique du cerf le liant à une dualité ténèbres/lumière, à la renaissance (les bois), à la fertilité et, évidemment, au monde de la Nature.

C'est pourquoi, Cernunnos portant des bois de cerf, hérite de ces symboliques. De ce fait on retrouve souvent le fait que Cernunnos est lié au monde chthonien. À ne pas confondre avec le monde des morts ! Qui, en plus de ne pas être prouvé, n'est pas une hypothèse avec des appuis solides.

Le torc qu'il porte serait, selon certains chercheurs comme J.-J. HATT (3), lié à la mythologie gauloise. Le torc était donné par le mari à sa femme lors du mariage. Le fait que Cernunnos en porte un dans la main peut signifier qu'il est veuf/cherche sa femme ou qu'il va se marier. Les hypothèses au sujet de sa femme le lieraient à Rigani. Celle-ci est aussi femme de Taranis, ce qui, on comprend pourquoi, provoque la colère de ce dernier. Ça ne vous rappelle rien ? Héphaïstos, Vénus et Mars ?


Passons à des choses plus concrètes : les monuments.

- Sa plus ancienne représentation est celle de Valcamonica, située au nord de l'Italie où certains pétroglyphes sont vieux de 10.000 ans. On le voit déjà avec des cornes de cerf, tenant un torc et un serpent et ce qui semble être un adorateur à côté de lui.

Cernunnos, chaudron de Gundestrup

- Ensuite on le voit sur le chaudron de Gundestrup, retrouvé dans le Juteland (Danemark) en 1891. C'est sur l'une des 13 plaques d'argent et d'or que l'on a l'une des représentations les plus célèbres de Cernunnos (On décriera le chaudron plus longuement dans un autre article, il y a en effet beaucoup de choses à dire dessus).

- On le retrouve ensuite sur la stèle de Reims. retrouvé en 1837 et datant du Ier siècle ap. J.-C., Cernunnos est ici accompagné d'Apollon à sa droite et de Mercure/Hermès à sa gauche, donc deux dieux gréco-romains, qui d'ailleurs sont plus petits et concentrent leur regard sur le grand dieu gaulois au milieu. L'une des suppositions les plus intéressantes sur ce monument serait que Apollon et Mercure sont là pour décrire le pouvoir d'action du dieu gaulois (4). Ici, Cernunnos ne porte pas dans sa main droite main un sac d'abondance entre ses mains. Et la présence d'animaux en bas de la stèle le lie toujours au monde de la Nature.

- Verteuil sur Charente : en 2000, les fouilles dégagent un lieu de culte et une fosse entourée d'une enceinte datant de la fin du Ier siècle ap. J.-C.(5). On y retrouve une statue de Cernunnos et une autre d'une divinité féminine, qui, respectivement, date de la fin du Ier siècle ap. J.-C. et du IIème siècle ap. J.-C.. De part la proximité avec le lieu de culte, Cernunnos devait y être vénéré et recevoir des sacrifices. De même que sur la stèle de Reims, il porte un tissu sur son épaule gauche et le torque au cou. Assis en tailleur il a entre les mains un sac pourvu de graines ou une corne d'abondance au dessus duquel se trouve un cerf agenouillé. On remarque également une forme de visage animale juste en dessous de l'arrière de ce cerf. Même acéphale, les attributs sont ici suffisants pour affirmer la présence de Cernunnos. Il ressemble beaucoup à celui de la stèle de Reims, et la présence du cerf confirme le soupçon.

- Une représentation intéressante et compliqué en même temps sur la stèle de Vendoeuvres (découverte en 1864 à Vendoeuvres le monument date du IIème siècle ap. J.-C). Son visage a un aspect juvénile et il ne porte pas de barbe. Des deux côtés ce qui semble être des enfants -la plupart des chercheurs s'accordent à dire qu'il s'agit des Dioscures-. Tous les deux portent une main sur la ramure de Cernunnos et l'autre main sur la tête du serpent à tête de bélier sur lequel ils se tiennent debout. Cette façon de tenir les bois de cerf rappelle le char de Strettweg. À l'avant de ce char, deux personnages à l'aspect de jeunes hommes tiennent d'une main les très grands bois d'un petit cerf. Il est intéressant de constater que dans les deux cas il s'agit de jeunes gens touchant les bois d'un jeune cornu. Comme vu plus haut le cerf a une symbolique virile, peut-être que cette représentation de toucher des bois de cerf a un lien avec le passage de l'état de jeune garçon à celui d'homme.


Cernunnos peut être associé avec d'autres divinités. Certes, on l'a déjà vu accompagné, mais le lien avec une déesse comme la Fortune peut avoir un lien plus profond, plus idéologique.

- C'est le cas sur le monument de Saintes. Le personnage de droite est une divinité. De sa main gauche elle tient une corne d'abondance. Ce dernier élément indiquerait qu'il s'agit là de la Déesse Mère Regina. À sa gauche, mutilée, un personnage féminin s'appuyant sur un bâton. Entre les jambes de la Déesse Mère se tient un homme barbu dont il ne reste que le visage son bras droit semblant s'appuyer sur un bâton. Cette association de divinité n'a rien d'étonnant d'après les fonctions des divinités représentées ici, à savoir le cadre de la Fertilité, du pouvoir nourricier des dieux tout comme on peut le constater dans la stèle des Bolards.

- Le monument des Bolards (Nuit-Saint-Georges ; datant du IIe siècle ap. J.-C.) représente trois personnages assis qu'on identifie comme étant des divinités. Mais l'association de ces divinités ne doit pas être anodine non plus comme sur le monument de Saintes. En effet retrouver Fortuna avec une corne d'abondance, un génie, et Cernunnos tricéphale indiquerait une célébration de culte visant la fertilité, la Nature et ses bienfaits. Le fait que la divinité du centre ne soit pas la déesse mère gauloise pourrait aussi signifier que l'influence religieuse des Gaulois était moindre que celle des Romains. Néanmoins tout comme le pilier des Nautes et la stèle de Reims le montrent, cette période montre un réel pluralisme religieux. La religion gauloise ne disparaît pas à l'arrivée des Romains et le Gaulois vénère encore ses dieux à côté de son nouvel ami romain.

Stèle des Bolards (photographie Espérandieu)


On retrouve Cernunnos sur d'autres monuments, comme sur la statuette d'Etang-sur-Arroux, dite d'Autun, la divinité triocéphale de Condat, le tricéphale de Beaune, le personnage assis de Néris ou encore le dieu de Bouray.

À propos de cette dernière. Retrouvé dans la rivière Juine à Bouray-sur-Juine et daté du Ier siècle ap. J.-C., cette statuette est disproportionnée. La tête, plus travaillée que le reste, est aussi imposante que le buste et les jambes, repliées, sont courtes. Il est supposé que les bras manquants reposaient sur les jambes. Cette statuette en bronze porte un torque mais ne bénéficie pas d'une coiffe de bois de cerf et il n'y a pas non plus de traces d'encastrement. Mais il y a un élément important, il s'agit des pieds, qui sont représentés avec des sabots. On a déjà observé Cernunnos imberbe (sur le Chaudron de Gundestrup ou la stèle de Vendoeuvres), mais plus rarement avec des sabots. La station bouddhique et la présence des sabots influencent fortement sur l'idée que cette statuette représenterait Cernunnos.


"La présence de Cernunnos sur la stèle de Reims et le pilier des Nautes prouve également qu'il s'agit d'une divinité importante dans le panthéon gaulois."

Pour finir, comme nous venons de le voir les représentations datent pour beaucoup de l'époque gallo-romaine. C'est en Gaule qu'on retrouve le plus de représentations de Cernunnos. Selon les monuments retrouvés, son culte, ou du moins sa reconnaissance, est établi du Danemark (le chaudron de Gundestrup) au nord de l'Italie (l'art rupestre de Valcamonica) en passant par la Gaule. Le fait qu'on ne retrouve que des représentations, principalement, à partir du Ier siècle av. J.-C. démontre qu'il y avait probablement soit une interdiction de représenter les dieux dans le monde celtique (et il faut attendre que l'influence gréco-romaine s'intensifie) soit que les représentations n'étaient pas réalisées dans un matériau durable. Le nom même de Cernunnos ne nous est pas parvenu intact, sur le pilier des Nautes le début de son nom est mutilé. Les auteurs antiques n'en laissent pas de traces non plus. La présence de Cernunnos sur la stèle de Reims et le pilier des Nautes prouve également qu'il s'agit d'une divinité importante dans le panthéon gaulois. Sur la stèle, le dieu n'est pas confondu avec un dieu gréco-romain, il reste lui-même, c'est donc qu'il n'a pas de réel équivalent et qu'il est encore important pour les Gaulois. Même encore au IIème siècle ap. J.-C., il est encore représenté sur la stèle de Vendoeuvres.

Cernunnos est donc le dieu cornu des Gaulois, tenant un torque de sa main droite et un serpent à tête de bélier de la main gauche. Toujours assis en tailleur c'est un dieu que beaucoup de chercheurs classent comme étant lié au domaine terrestre. Ses bois de cerf et les animaux qui l'accompagnent sur les représentations le lient au monde terrestre. Sa liaison avec le cerf l'associe avec le cycle saisonnier et la dualité ténèbres/lumière. Ceci en ferait donc le dieu lié au monde de la Nature et de la Fertilité(6).


Cernunnos a bénéficié et bénéficie encore de plusieurs comparaisons avec d'autres dieux ou héros. On retrouve même son influence dans des œuvres littéraires ou vidéo-ludiques actuelles, mais ça, c'est une autre histoire.

Et à ce propos je vous invite à visiter cette adresse pour une liste assez importante de mythes et légendes en rapport avec Cernunnos: http://idraemir.blogspot.fr/2011/06/cernunnos-lindomptable.html

1- CHARRIERE G., De Cernunnos à Gargantua, in "Revue de l'Histoire des Religions", tome 191, n°1, éd. P.U.F., 1977

2- GRICOURT Daniel, HOLLARD Dominique, Cernunnos, le dioscure sauvage, Recherches comparatives sur la divinité dionysiaque des Celtes, éd. L'Harmattan, coll. Kubaba, Paris, 2010

3- HATT Jean-Jacques, Mythes et dieux de la Gaule, les grandes divinités masculines, tome 1, éd. Picard, Cahors, 1989

4- ROYMANS Nico, Tribal societies in norhern Gaul, an anthropological perspective, éd. Cingula 12, Amsterdam, 1990

5- BAIGL Jean-Philippe, VERNOU Christian, Un nouveau Cernunnos découvert en Charente, in "Aquitania", n°18, éd. de la Fédération Aquitania, Bordeaux, 2001, p. 7-28

6- Résumé d'un travail de mémoire effectué en Master 2 (THIRARD R. 2014/15 - Lille III)

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